« Au crépuscule », de Sharunas BARTAS, en avant-première au Festival Lumière 2020
En avant-première, lors du Festival Lumière 2020, le mardi 13 octobre 2020, au Comoedia, Sharunas BARTAS est venu pour présenter son film « Au crépuscule ».
Sharunas BARTAS est un grand réalisateur lituanien, et sans doute conscient qu’il est un lien entre les derniers survivants de la 2ème Guerre Mondiale, et les générations Y ou Z, a réalisé « Au crépuscule » un film témoignage sur son pays au moment de l’arrivée (ou plutôt du retour) des soviétiques en 1944, histoire finalement peu connue de l’autre côté de ce qui était le Rideau de Fer, qui se doublait aussi d’un silence de plomb.
Pays balte, la Lituanie est un concentré de particularismes, qui a résisté aux écrasants voisins comme l’Allemagne et la Russie, mais aussi les pays scandinaves.
L’angle d’approche est intimiste, sans fanfare ni trompettes, s’ancrant dans la vie quotidienne de peu de familles d’un tout petit village rural, dur, gris, boueux, pauvre, qui voit ressurgir quelques troupes soviétiques, après avoir subi l’invasion et les destructions des armées nazies. Les repas sont des soupes claires, avec quelques légumes, et un pain noir, ou du bortsch. L’eau est puisé dans un puit, la toilette quotidienne est rapide, et économe en eau, le poêle à charbon est alimenté de quelques petits morceaux de bois.
Il n’y a aucun misérabilisme, pas plus qu’il n’y a d’emphase dans le témoignage de la lutte.
Il y a tout d’abord ce jeune homme, Unte, qui entre dans une maison où un homme vient d’être exécuté, sa femme semble avoir été violentée, leur enfant est là, et la mère de l’homme exécuté pleure la mort de son fils, se lamentant sur son sort prochain.
Unte est le fils (adoptif) de Jurgis Pliaugas, un cocher, devenu majordome, puis époux de la fille de son ancien maître, et méprisé et repoussé par celle-ci, suite à une fausse couche dont il est responsable.
Un groupe d’hommes du village est dans la forêt, vivant de manière clandestine, et tente de s’opposer aux troupes soviétiques. Unte et Jurgis sont en relation avec ce petit noyau de partisans anti-soviétiques.
Rapidement, on s’aperçoit des différences de classe entre certains personnages, et des différences de richesse aussi, liée essentiellement à la possession de la terre, dure à travailler, peu productive en cette contrée du Nord de l’Europe. Certains travaillent sur la terre des autres, au service des autres.
Quelques jalousies naissent, des rancoeurs aussi, et des trahisons.
Ainsi, le petit noyau anti-soviétique finit-il par être éliminé lors d’une brève attaque surprise, trahi par son propre leader. Unte retrouve Jurgis dans une prison, qui vient de subir un traitement de choc de la part du NKVD, en attente probablement d’un départ vers la Sibérie.
Ce film aux images particulièrement soignées, à la photographie superbe, fait sans doute écho à un film estonien « Crosswind » évoquant un autre épisode triste ayant eu lieu quelques années auparavant, en 1941, la déportation de 40000 Baltes vers la Sibérie, sur des bases généralement arbitraires ou s’inscrivant dans un schéma de lutte des classes revisité par Staline. Avec « Katyn » de Wajda, à la fois plus lyrique, plus désespéré, plus spectaculaire, plus brutal, plus violent, plus démonstratif, nous avons là un tryptique, un triptyque involontaire, mais intéressant, sur le soviétisme réel vu et vécu par des pays se rattachant à l’Europe centrale, à l’Europe du Nord.
Malgré un possible parti pris, le film reste très neutre, sans lyrisme, sans grandiloquence. Tout est incroyablement réaliste, pondéré, mesuré, calme, presque froid. Il n’y a pas de jugement de valeur, il n’y a pas de dénonciations latentes ou implicites.
Le militaire qui officie comme commissaire politique joue le jeu du collecteur d’argent pour son pays avec des villageois démunis de tout, et qui pour certains, ne mangent même pas à leur fin. Quand ces derniers quittent la scène, il dit bien qu’il savait qu’il n’y aurait rien à tirer de ce village comme ressources monétaires. Le commissaire politique a été dans son rôle, mais sans surenchère, et sans cruauté.
Peu de films lituaniens arrivent réellement jusqu’à nous. D’une certaine manière, « Au crépuscule » pourrait apparaître comme l’antithèse visuelle et propositionnelle de « Summer » autre film lituanien sorti récemment, alors que globalement, il en a le même rythme, et le même positionnement « Je suis au monde simplement ».
Gérard Sanchez